La fille de la soignante

Helen Morris with grandson Michael
Helen Morris avec son petit-fils Michael

par Jean Morris

À son 62ième anniversaire de naissance, ma mère, Helen Morris, a appris que mon père était atteint d’un cancer irréversible des intestins et qu’il lui restait peut-être encore une année à vivre. C’est au cours des 50 dernières semaines de la vie de mon père que nous avons commencé à remarquer que la santé de ma mère se détériorait.

Maman avait grandi durant la Grande Dépression et ses parents avaient dû placer leurs trois filles en institution puisqu’ils n’avaient pas les moyens de les nourrir ni de les héberger. Même face à l’adversité, ma mère était une petite fille pleine de détermination qui s’est transformée en jeune femme radieuse. Elle a épousé son petit ami depuis le secondaire, Alan Morris, et le couple a eu trois enfants.

Ma mère aimait beaucoup ma grand-mère, sa belle-mère Jean. En qualité d’ancienne infirmière, elle a soigné Jean, qui a vécu avec nous depuis mes années au secondaire. Bien que je ne partageais pas directement les responsabilités de soignante de ma mère, ces années m’ont montré le caractère dérisoire des problèmes des adolescents par rapport aux véritables problèmes que la vie peut nous réserver.

Durant des semaines et des mois, la maladie de mon père a suivi son cours, avec son lot de nouvelles difficultés. Lors de ma dernière visite à mon père, celui-ci m’a fait part de ses craintes à l’égard de la détérioration de la santé de ma mère. J’ai tenté de le rassurer en lui disant que l’état de ma mère était attribuable à la grave dépression dans laquelle sa maladie l’avait plongée. Papa était dubitatif. J’ai ajouté que si j’avais tort, il est évident que je prendrai soin de maman. Je suis très contente d’avoir promis de vive voix ce qui aurait pu aller de soi. Quand je repense à ce moment, je suis encore étonnée du soulagement que cette promesse a provoqué chez mon père.

Ma mère qui avait été tout au long de sa vie farouchement indépendante et capable d’inlassables efforts lorsqu’elle croyait à une cause était vraiment malade. Si de l’aide lui avait été offerte, elle aurait été réticente à l’accepter. Nous étions maintenant en 1988 et ma mère était veuve depuis un an. Puis, durant un appel interurbain depuis Hamilton (Ontario), elle m’a demandé avec une toute petite voix s’il y avait des maisons libres près de chez ma sœur et moi à Halifax. Ce n’est pas avant que ma mère ait déménagé chez nous que nous avons pu constater à quel point elle était malade.

Nous n’avons jamais reçu un diagnostic clair de la maladie de maman et nous n’avons pas non plus été informés régulièrement de ce à quoi nous pouvions nous attendre alors que son état s’aggravait. En rétrospective, je crois que ma mère était atteinte d’« atrophie multisystématisée » *, un parkinsonisme atypique. Ma mère qui se tenait habituellement droite comme un soldat, avait maintenant le dos voûté et se déplaçait avec difficulté. Elle a dit à sa propre sœur, qui était aussi sa meilleure amie au monde : « Ne t’attends pas à avoir une conversation avec moi ». Elle devait pourtant se déplacer sur une distance considérable pour la visiter. Sa capacité de parler a diminué jusqu’au point où elle ne pouvait que répéter des phrases mémorisées il y a longtemps. Elle pouvait chanter Bonne fête, mais ne pouvait pas dire si elle avait froid ou chaud, si on lui posait la question. Puis, un jour, ma mère n’a plus du tout été capable de parler.

Je regrette souvent de ne pas avoir posé des questions toutes simples à ma mère avant que cette maladie chronique ne la prenne en otage : préfères-tu coucher du côté droit ou du côté gauche? Quel genre d’oreiller aimes-tu? Quel type de thé préfères-tu? J’aurais souhaité faire des compilations de ses morceaux de musique favoris, lui faire la lecture à voix haute et regarder des émissions de télé avec elle, pendant qu’il m’était encore possible de connaître ses intérêts. J’avais 17 ans lorsque j’ai quitté la maison pour l’université et j’ai vécu plus longtemps à l’extérieur qu’avec ma mère.

Des aides-soignants nous ont épaulés pour prendre soin de maman, pendant que ma sœur et moi nous efforcions de mener une carrière professionnelle. L’une des aides-soignantes de notre « famille de personnel » n’avait pas son pareil pour obtenir de l’aide pour ma mère, en particulier des séances de massothérapie et de physiothérapie pour contrer sa rigidité croissante. Maman luttait de toutes ses forces contre la maladie. Il semblait n’y avoir aucun remède au début des années 1990. Comme équipe, nous tentions de faire progresser les droits des personnes handicapées et d’accéder à des ressources au nom de ma mère.

Les dernières phases de la maladie ont peut-être été les plus éprouvantes pour maman. Les seuls moments où elle pouvait relaxer étaient dans un bain chaud ou durant son sommeil. Le soir, ma sœur et moi nous couchions à tour de rôle à ses côtés, l’entourant de nos bras. Si un mouvement de ma part la réveillait, elle recommençait alors à transpirer et au bout de quelques heures, les draps étaient complètement trempés. Le résultat était le même que si nous avions pris un boyau d’arrosage. Ces moments d’inaptitude dans les soins que je prodiguais à ma mère restent gravés dans ma mémoire.

Certes, j’ai vécu avec ma grand-mère malade et ma mère a soigné mon père durant sa longue maladie, mais nous n’avons jamais discuté en profondeur de questions de fin de vie. À cette époque, le milieu médical ne nous offrait pas de choix et je ne connaissais pas d’organisme offrant de l’aide aux familles pour la prise de ce genre de décision. On discute beaucoup plus ouvertement de nos jours des soins de fin de vie et de la prise de décision. Je sais aussi maintenant que Parkinson Canada offre à ses clients les renseignements dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées à toutes les phases de la maladie.

En fin de compte, c’est l’incapacité d’avaler qui a mené au décès de ma mère. Je suis sûre que ma mère comprenait ce qui était dit même si elle ne pouvait pas parler. Je lui ai expliqué que si je ne pouvais pas l’alimenter, il faudrait lui insérer une sonde d’alimentation et probablement lui trouver une maison de soins infirmiers. Je n’oublierai jamais le regard qu’elle a eu… Ma mère n’était ni apeurée ni bouleversée, elle était soulagée. Son regard fait partie de mes souvenirs.

Les effets de la maladie cérébrale chronique perdurent. Le seul petit-fils de maman, mon fils Michael, avait deux ans lorsque maman est décédée. Mon fils est maintenant âgé de 24 ans. Cela m’a pris tout ce temps pour écrire cet article et mettre en œuvre mon projet de faire un don d’actions à Parkinson Canada, avec l’aide de mon conseiller financier. Je ne peux pas ramener ma mère à la vie. Le don d’actions, transmises de mon père à ma mère puis à moi en tant qu’héritière est le meilleur hommage que je puisse rendre à ma mère, maintenant qu’il n’y a plus rien que l’on puisse faire pour l’aider.

NDLR :

* L’atrophie multisystématisée (AMS) est un parkinsonisme atypique. L’expression AMS a été créée en 1996 pour décrire plusieurs troubles dont le syndrome de Shy et Drager, la dégénérescence striato-nigrique et l’atrophie olivo-ponto cérébelleuse sporadique.

Pour en savoir davantage sur les formes atypiques de parkinsonisme, visitez notre site Web .
Les Lignes directrices canadiennes sur la maladie de Parkinson contiennent aussi plusieurs recommandations sur les communications, notamment deux conversations concernant les soins palliatifs et les questions de fin de vie :
C7 Les besoins en soins palliatifs des personnes atteintes de la MP doivent être pris en compte dans toutes les phases de la maladie.
C8 Les personnes atteintes de la MP et leurs partenaires aidants doivent avoir la possibilité de discuter de questions de fin de vie avec les professionnels de la santé appropriés.

Pour en savoir davantage sur les parkinsonismes atypiques, et pour obtenir d’autres renseignements sur la vie avec la maladie de Parkinson, communiquez avec notre Centre national d’information et de référence au 1-800-565-3000 ou à info@parkinson.ca.